Les jours s'étaient écoulés depuis son passage en troisième année, et lentement, Noora reprenait du poil de la bête. Mais il y avait eu des hauts et des bas. Pendant presque un mois après son examen, elle n'avait pas posé ses fesses sur une selle. Elle se contentait de s'occuper de ses deux chevaux, les faisait travailler en longe, les emmener se promener, mais sans jamais monter. La Canadienne ne savait comment l'expliquer mais à chaque fois qu'elle se levait en se donnant pour obligation de monter ce jour-là, elle fondait en larmes au moment d'entrer dans la sellerie. Elle n'avait jamais ressenti ça avant, jamais cette sensation d'être aussi nulle, inutile, de ne pas être à la hauteur. Noora était tombée, et le pire, c'est qu'elle s'était poussée elle-même du balcon.

Quand elle a enfin réussi à remettre pied à l'étrier, elle n'avait fait que du pas. Hermès réclamait plus pourtant, mais elle en était incapable. Ce n'est que très lentement qu'elle a enfin pu se remettre réellement au travail. Mais pourtant, depuis un an, une peur sourde lui grignotait les entrailles chaque matin, lui coupait l'appétit et l'affaiblissait. Noora ne se reconnaissait même plus quand elle se regardait dans un miroir. Où était passée la mannequin qui gardait toujours la tête haute ? Où était passée la jeune femme qui n'abandonnait jamais ? Elle s'était perdue et se sentait incapable de se retrouver.

Ce matin-là, elle se réveilla. Première chose qu'elle fit, c'est de prendre son téléphone et de regarder ses notifications. Elle en avait énormément, lui souhaitant tous un bon anniversaire. Douze février, elle avait maintenant vingt-six ans. La brune se rapprochait de plus en plus de la trentaine. Comme depuis quelque temps, une sensation étrange remplie son organisme, une appréhension de quelque chose dont elle ne pouvait mettre le doigt dessus.

Entre les messages des personnes qu'elle connaissait et ceux de ses « fans », elle devait faire le tri. Noora avait décidé de se retirer plus ou moins des réseaux. Bien qu'elle ne postait plus aucun contenu, elle continuait de faire défiler les postes, de regarder ce qu'il se passait dans le monde. Mais elle ne répondait plus aux commentaires, aux messages sauf à ceux de son entourage. C'était fini, son ancienne vie était finie et elle ne voulait plus revenir dans le monde de strass et paillette. Qu'est-ce que ça pourrait lui apporter de toute façon ? Et puis, actuellement, elle se sentait incapable de prendre un bain de foule, de défiler sur un podium, malgré les demandes et de poser pour un shooting.

Noora aurait aimé appeler ses parents, mais avec le décalage horaire, elle n'arriverait pas à les joindre à cette heure-ci, alors elle décida de s'habiller et de sortir dans le froid de février. Emmitouflée dans une doudoune marron, elle se réfugia rapidement dans la cuisine pour prendre son petit-déjeuner. Elle n'avait pas forcément faim, mais il fallait bien qu'elle prenne des forces pour cette journée. Quelques personnes passent devant elle et lui souhaitent un joyeux anniversaire auquel elle répond avec le sourire. Dix minutes plus tard, alors qu'elle est assise, sa tasse de thé dans une main et son téléphone dans l'autre, Greg finit par arriver.

« Joyeux anniversaire ! »

Il semble hésiter quelques secondes, il faut dire que c'est son premier anniversaire qu'elle fête avec lui depuis qu'il est parti en prison. Aucun des deux ne sait vraiment comment agir, surtout qu'ils ne sont pas réputés pour les grandes déclarations d'affection. Il finit néanmoins par la prendre dans ses bras et lui déposer un baiser sur son front, juste en dessous de la naissance de ses cheveux.

« Je suis heureux d'être présent pour ton anniversaire.
— Moi aussi, je suis heureuse que tu sois là. Et surtout que tu te sois autant repris en main.
— Franchement, ouai, moi aussi. J'me sens enfin utile et j'aime ce que je fais. J'apprends beaucoup de choses avec Anton et je ne peux pas m'en plaindre. Même si j'ai pas mal de travail. Bon alors, que veux-tu faire pour ton anniversaire ? Je te réserve toute cette journée rien que tous les deux. »

Noora était heureuse, même si elle n'arrivait pas à vraiment le montrer. Elle ne put que lui sourire et poser sa main sur son bras d'un geste affectueux. L'un comme l'autre ont appris à être renfermés sur eux-mêmes, pas dans le même contexte, mais c'était compliqué pour eux de vraiment se dévoiler à l'autre. Bien évidemment, ils savaient qu'ils pourraient compter sur l'autre s'ils avaient une quelconque emmerde, mais cela restait difficile à avouer à haute voix.

« Et si on allait se faire une petite virée en ville dans l'après-midi ? Ce matin, j'aimerais travailler avec Cream Cleopatra un peu, mais je n'ai rien de prévu après. Ça te tente ?
— C'est parti. On se rejoint à deux heures dans le salon.
— Parfait ! À toute ! »


Noora se tenait devant le box de la jument crème, avec un licol et une longe. La jument se tenait tête haute, oreille en avant et semblait attendre d'être de nouveau le centre de l'attention. La Canadienne avait remarqué rapidement que Cream Cleopatra devenait capricieuse quand elle ne s'occupait pas d'elle contrairement à Hermès qui était plus doux et ne demandait pas autant d'attention. Mais elle avait appris à aimer ce défaut, et passait le plus de temps possible avec elle, même si ce n'était que question de la sortir en longe et l'emmener se promener autour du haras.

La séance du jour consistait à la faire travailler un peu, en main, et établir un lien de confiance. Elle lui mit le licol et l'entraîna vers un rond de longe disponible.

Tout d'abord, Noora la laissa se défouler seule. La crème s'y donnait à cœur joie. Elle bondissait dans tous les sens, galopant à droite puis à gauche dans l'espace restreint. Après plus de cinq minutes, elle finit par s'arrêter, la tête basse en direction de la Canadienne. La cavalière s'approcha alors, accrocha la longe et l'entraîna à sa suite en faisant le tour dans un premier sens puis dans l'autre. Une fois cela fait, elle se replaça au centre et commença quelques petits exercices.

Noora n'était pas particulièrement douée dans les exercices à pied, mais elle avait regardé quelques articles sur le net, regardé des vidéos, puis aussi certains cavaliers travailler avec leurs chevaux. Puis aussi, elle avait demandé conseil à deux cavaliers avec qui elle avait commencé à se lier d'amitié. Pas grand chose de folichon, vu qu'elle préférait souvent être seule ou juste accompagnée de son frère.

Greg l'avait aussi aidé à trouver des idées d'exercices en en parlant avec son formateur. Malgré le fait que ce soit un maréchal-ferrant, il s'y connaissait plutôt pas mal en exercice à pied. Et Anton lui avait conseillé de commencer par voir si la jument pouvait rester à l'arrêt autant de temps que sa cavalière le lui demandait. Surtout que connaissant son caractère, ce serait bien pratique si jamais Noora devait descendre de cheval et que Cream Cleopatra ne devait surtout pas se déplacer.

L'ancienne mannequin félicita la jument lorsque celle-ci s'arrêta et commença à s'éloigner de quelques pas, avec juste le bout de la longe dans les mains ne pas exercer de tension. La jument restait parfaitement immobile, mais semblait intriguée par ce que la brune faisait. Finalement, elle laissa tomber la longe et recula encore.

Flûte, Cream Cleopatra avança vers elle, sûrement croyant que c'était ce qu'elle lui demandait. Noora reprit la longe, recommença tout depuis le début. Un tour au pas, puis lui demanda de se stopper. Elle recula de nouveau, l'encourageant à rester immobile. La brune put s'éloigner un peu plus, et fut ravie de voir que cette fois-ci, la jument ne bougea pas d'un pouce. Elle fit le tour du rond de longe, et revient vers la jument la félicitant. C'était très bien et elle était heureuse d'avoir réussi. Elle se dit qu'elle devait quand même recommencer quelques fois.

La jument ne fit que quelques pas en avant, mais dans l'ensemble, elle avait réussi l'exercice. Noora combina alors l'exercice avec le deuxième qu'on lui avait conseillé, celui de la transition marche-arrêt-marche à la voix. Elle reprit la longe, la jument la suivit dans tout l'espace disponible.

« Arrêt. »

En même temps que la demande, elle exerça une pression sur la longe. Cream Cleopatra s'arrêta. Elle semblait comprendre l'exercice. Sûrement que son ancien propriétaire avait dû le travailler avec elle. Pour être sûr, elle mit la longe autour de l'encolure de la jument, fit un nœud lâche et recommença juste avec la voix.

C'était merveilleux. Tout comme le hongre noir, Cream Cleopatra répondait parfaitement aux demandes vocales. Ce qui était un plus pour la suite du couple. Noora savait qu'elle avait énormément à apprendre en travail à pied, et avec un cheval qui répondait rapidement, c'était plus facile. Mais surtout, elle savait qu'elle devait trouver aussi un cavalier qui pourrait vraiment l'aider sur du long terme.


La matinée était passée à une vitesse folle et Noora se tenait maintenant prête dans le salon, attendant son frère. Elle ne savait pas vraiment à quoi s'attendre de cet après-midi, mais elle était un peu nerveuse. Sûrement, parce que c'était son premier anniversaire depuis six ans que Greg était à ses côtés. Il a quand même raté six ans de sa vie. Ils essayaient vraiment de retrouver leur lien, mais c'était compliqué. Puis surtout entre eux, tout pouvait rapidement prendre feu. Ils sont tout deux des Bartlet et détestent avoir tord.

Une jeune femme passa devant elle, aux cheveux blonds polaires, coupés au carré. Elle ne savait pas pourquoi, mais Noora ne la sentait pas. C'était sûrement physique, mais cette fille lui rappelait les gens qu'elle avait côtoyés quand elle était mannequin. Elle lui semblait fausse et ça jusqu'à ses cheveux. La fausse blonde posa ses yeux sur la Canadienne et celle-ci ne put lui répondre que d'un regard mauvais. Ce fut la deuxième qui détourna en premier le regard, baissant la tête et elle continua son chemin. Tant mieux. Même si Noora s'était découvert de nouvelles angoisses, elle n'avait tout du moins pas perdu son allure intimidante.

Greg arriva dans le salon, et ils sortirent tous les deux en direction du parking. Les deux Bartlet ont loué une voiture pour eux deux durant tout le semestre en Suisse. Si jamais l'un des deux a besoin de se déplacer. Ils ont préféré prendre une voiture pour deux, puisque c'est très rare que l'un ait besoin d'aller à un endroit et l'autre ailleurs. Ce qui n'est même jamais arrivé. Alors autant faire des économies. Ce fut Greg qui monta au volant. De ce que Noora se souvenait de l'époque ou elle était encore ado, c'était que son grand frère adorait conduire. Il pouvait vraiment faire de long trajet sans se fatiguer. Une fois, il lui avait dit qu'il aimait la sensation de liberté qu'il avait au volant. Il aurait pu partir n'importe où juste avec une voiture et un peu d'argent pour l'essence. Il aurait peut-être dû partir n'importe où au lieu de se faire entraîner dans un réseau de vente de drogue. Mais ce qui est fait, est fait.

Ils se garèrent dans un parking souterrain d'un centre commercial en centre-ville. Il y avait énormément de monde qui déambulait entre les magasins. Alors qu'ils avançaient, ils s'étaient mis d'accord pour aller boire un verre dans un bar, un groupe de jeune bouscula la jeune femme.

« Bande de petit con ! »

Mais ils ne comprirent rien à ce que l'ancienne mannequin avait dit puisqu'ici, la population parle majoritairement français. Alors, elle les fusilla du regard, et ça, elle était sûre qu'ils allaient comprendre. Le regard noir est international.

Ils s'installèrent à un bar, et Noora commanda un monaco, tandis que son frère pris un demi. Greg ouvrit son paquet, mit une clope entre ses lèvres et tendit le paquet à Noora. Elle ne fumait plus autant que lors de l'arrivée de son frère à l'académie. Cette époque, qui ne date que de l'année dernière, l'avait mis grandement sur les nerfs et elle avait repris cette mauvaise habitude. Maintenant, elle ne fumait que rarement, et elle avouait qu'en même temps qu'un verre, la nicotine passait extrêmement bien.

« Bon alors, quoi de neuf ? demanda-t-elle à son frère
— Bah écoutes, d'après Anton, j'apprends vite, mais il me faudra encore de longues heures de formation avant de pouvoir me mettre à faire des visites seul. Mais j'aime beaucoup. Je préfère être maréchal que palefrenier, ça me convient plus.
— Ça se voit en tout cas. Tu as l'air mieux. Et surtout moins en colère contre le monde entier.
— Ça ne sert plus à rien de faire payer à tout le monde ma mauvaise humeur alors que je suis libre, enfin pas totalement, mais c'est tout comme. Et puis Anton me fait confiance, et ça, c'est quelque chose qu'on ne m'avait pas accordé depuis longtemps.
— Le directeur de l'académie aussi te fait confiance. Sinon, il ne t'aurait pas accepté.
— Et toi aussi. »

Noora détourna les yeux, regardant les gens se promener sur la place centrale. Est-ce qu'elle lui faisait confiance ? Pas totalement. Une partie d'elle était encore très en colère contre Greg pour les avoir abandonné alors qu'ils avaient besoin de lui. Elle avait dû prendre un travail tôt, puis quand elle avait été repérée pour devenir mannequin, elle ne s'était pas sentie vraiment avoir le choix. Noora l'avait fait pour avoir de l'argent et aider sa famille. Ce qui était normalement le rôle de son père, qui avait une double vie, une autre famille, et s'il n'était pas présent le rôle de Greg. Aucun des deux n'avait pu assumer ce rôle.

Greg ne continua pas le sujet et finit par changer de conversation.

« Et toi, ça va ?
— Ça va. Mieux du moins. »

Greg était au courant pour les problèmes qu'avaient traversé Noora après son passage en troisième année. Il l'avait vu faire des crises d'angoisse sans jamais vraiment savoir comment réagir. Il avait essayé de lui parler calmement, de lui redonner confiance en elle en lui disant qu'elle était une bonne cavalière, sinon elle ne serait pas en troisième année. Il avait aussi essayé d'être plus dur avec elle en lui disant qu'il fallait qu'elle se bouge le cul, mais à part mener à de grands éclats de voix, ça n'avait rien donnée. Finalement, seul le temps l'avait apaisé.

« J'ai toujours une certaine angoisse quand je dois travailler en selle. J'ai peur de ne pas être à la hauteur d'Hermès ou de Cream Cleopatra. Puis surtout le fait de travailler seule me pèse énormément. Je n'ai rien pour me comparer, aucun autre cavalier qui pourrait me dire ou est-ce que je dois m'améliorer. Mais c'est en partie de ma faute.
— Tu n'es pas la personne la plus sociable de l'académie pour le coup. Ça ne doit pas aider.
— Non, pas du tout. Mais je n'ai pas envie de devenir plus sociable juste pour ça. Tu sais pas à quel point il y a de personnes qui veulent juste profiter de toi, parce que tu as quelque chose qu'ils n'ont pas. Qui me dit qu'ils ne me parlent pas juste parce que j'ai une certaine notoriété, ou parce que j'ai un compte en banque rempli ? Des rapaces, il y en a partout.
— Tu devrais apprendre à te laisser porter Noora. Ça ne te ferait pas de mal de temps en temps de te laisser surprendre par la vie.
— C'est toi qui parles ? T'es pareil que moi. »

Ils se mirent à rire et finirent par trinquer aux vingt-six ans de la brune. C'était bon de se retrouver.

326 lignes; cream cleopatra et hermès
utilisation d'un résumé x2 dans les PB de Noora

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